En France, plus de 5 millions de personnes sont atteintes d'un handicap ou dépendantes (DREES, avril 2024), parmi lesquelles 2 millions de personnes sont atteintes d'un trouble de la vision, dont 207 000 aveugles et 932 000 malvoyants moyens, soit 2,5% de la population. Payer et régler ses achats en toute autonomie, de façon fluide et sécurisée, est un prérequis d'inclusion sociale et d'intégration à la vie économique. Un droit dont les mal et non-voyants sont aujourd'hui privés en France. Face à ce constat, et au manque de solutions adaptées à cette clientèle, la législation a pris le pas avec l'obligation de respecter les nouvelles exigences RGAA au plus tard en juin 2025 pour toutes les fintech et solutions de paiement numérique. Quels sont les critères de ce référentiel RGAA et comment les appliquer pour les terminaux de paiement ?
référentiel RGAA : quels sont les critères d'accessibilité requis ?
D'un point de vue théorique, les exigences du RGAA sont bien délimitées. Afin qu'un service de paiement en ligne soit dit “accessible” et réponde aux exigences légales, il doit être :
• Perceptible : c'est-à-dire faciliter la perception visuelle (contraste, taille, forme, espacement) et auditive du contenu par l'utilisateur, et proposer des équivalents textuels à tout contenu non textuel.
• Utilisable : fournir des éléments d'orientation pour naviguer, rendre toutes les fonctionnalités accessibles au clavier, laisser à l'utilisateur le temps pour lire et utiliser le contenu.
• Compréhensible : faire en sorte que les pages fonctionnent de manière prévisible, aider l'utilisateur à corriger les erreurs de saisie.
• Robuste : optimiser la compatibilité avec les utilisations actuelles et futures, y compris avec les technologies d'assistance.
S'il existe un standard pour les services numériques, les standards sont encore en cours de définition pour les services physiques et les discussions actuellement en cours entre CB et les différents constructeurs, afin de s'accorder sur une approche commune.
paiement physique accessible : le cas des terminaux de paiement
Du côté du paiement physique, les critères du RGAA sont difficiles à appliquer sans un standard clair, compte tenu de la diversité de matériels et de constructeurs impliqués dans la chaîne de production.
Dans le cas des terminaux de paiement (TPE), qui constituent l'un des moyens de paiement les plus adaptés aux malvoyants, les exigences se précisent. Au 28 juin 2025, les TPE devront proposer la synthèse vocale : on branche des écouteurs sur la prise casque et l'on se laisse guider par les instructions lues à voix haute. En outre, ils devront être équipés de retour haptique sur écran tactile, qui informe les utilisateurs par vibration lors d'étapes importantes. Enfin, les TPE devront permettre un affichage à haute visibilité, avec une police de texte de taille 14 minimum, et un contraste permettant une lisibilité optimale.
Il est édifiant d'écouter les témoignages des associations (UNADEV, ANPSA, Association Valentin Haüy, etc) pour que les solutions de paiement physique soient suffisamment adaptées. Par exemple, si des cartes de paiement pour aveugles et malvoyants existent déjà, elles nécessitent de la part des consommateurs de s'enrôler auprès d'un prestataire bancaire spécifique. La nécessité d'une solution standardisée et adaptée à tous apparaît donc clairement.
accessibilité du paiement par TPE : a-t-on besoin du cadre législatif pour agir ?
Pour ces quelques 2 millions de personnes atteintes d'un trouble visuel, la question du manque d'autonomie liée aux paiements du quotidien est centrale. Face à ces réglementations timides, une question subsiste : pourquoi a-t-il fallu attendre le cadre législatif pour agir ?
Si ces questions interviennent désormais à la phase de lancement de produit, afin que les entreprises puissent réaliser les ajustements nécessaires et éviter les sanctions, les produits devraient être pensés pour être plus accessibles dès la conception. Cet enjeu intervient au niveau du hardware (les éléments matériels qui composent le logiciel de système de paiement) mais aussi du software (au niveau des logiciels et applications de paiement qui devront être en mesure de gérer les sons et les vibrations pour les adapter aux malvoyants). Les fintechs innovent et certaines n'ont pas attendu le RGAA. Toutefois, face à l'indifférence généralisée, les institutions financières et les constructeurs doivent se mettre en ordre de bataille pour réaliser de façon optimale les ajustements nécessaires à la conformité. Jusqu'à présent, l'absence d'un cadre légal clair a relégué l'accessibilité au second plan pour les constructeurs de TPE. Ce manque n'incitait pas à prioriser ces enjeux, qui nécessitent une anticipation dès les premières étapes de la conception.
Les fintechs font face à des obstacles techniques : elles n'ont souvent pas accès au firmware des terminaux, ce qui limite leur capacité à développer des solutions accessibles. Sans cet accès, elles ne peuvent pleinement innover ni proposer des améliorations adaptées aux besoins des personnes en situation de handicap. Pour jouer leur rôle dans la transformation du secteur, elles doivent pouvoir collaborer en amont avec les constructeurs et intervenir sur le hardware lors du processus de conception des produits.
Enfin, la disparité des acteurs présents sur le marché des TPE pose un défi supplémentaire. À ce jour, il n'existe pas encore de normes spécifiques applicables à l'ensemble des constructeurs, ce qui pourrait aboutir à un écosystème de solutions disparates et inégalement efficaces. Ainsi, le cadre légal actuel sera-t-il suffisant pour garantir une accessibilité universelle ? Ou risquons-nous de voir coexister des approches incompatibles et des standards divergents qui pourraient freiner l'inclusion ?
En conclusion, si les critères du RGAA vont sans aucun doute booster l'accessibilité des services aux personnes mal et non-voyantes, et accélérer la prise de conscience des acteurs du paiement et des services en ligne, leur interprétation demeure floue, en particulier sur les applications et les terminaux. Pour que l'accessibilité ne soit pas qu'un simple impératif réglementaire mais devienne une réalité tangible, il est urgent que les constructeurs, fintechs, institutions financières et législateurs collaborent autour d'une vision commune, avec des normes claires et des moyens techniques adaptés.
source : journaldunet