édito

Reprise de la Bastille.

En se promenant sur les routes de France, on butine au fil des kilomètres des miettes ou de gros morceaux d'histoire. Sur le parcours de l'édition 2023 du Critérium du Dauphiné, le voyageur ordinaire s'autoriserait volontiers une pause au château de Vizille, où se réunirent les états généraux du Dauphiné en préambule de la Révolution française. L'amateur de vélo étudie la carte du pays à travers une paire de lunettes supplémentaire, avec laquelle on voit souvent la vie en jaune. Il aura par exemple, à l'occasion du Grand Départ dans le département du Puy-de-Dôme, un regard attendri vers le célèbre sommet qu'il sera possible d'observer par temps clair, et où se rendront à nouveau les coureurs du Tour de France après 39 ans d'attente.

À quelques semaines de la grande échéance de juillet, l'état de forme des meilleurs grimpeurs du peloton est systématiquement décrypté sur le Dauphiné. C'est bien souvent dans le massif des Alpes que les champions trouvent les terrains de confrontation les plus adaptés à leurs performances. Et cette année, ils battront déjà un record en se lançant à l'assaut de la ligne d'arrivée la plus haut perchée jamais tracée sur l'épreuve, au col de la Croix-de-Fer, soit 2 067 m au-dessus du niveau de la mer.

Le peloton du Dauphiné rencontrera à nouveau la grande histoire cycliste le lendemain avec des retrouvailles grenobloises qui se joueront à la Bastille, la forteresse qui surplombe la ville. Le mur qui y monte (1,8 km à 14,2 % de pente moyenne) viendra clôturer un festival de grimpettes dont le final rappellera l'un des épisodes les plus mémorables de la carrière de Bernard Hinault. En 1977, le jeune coureur de 22 ans avait déjà pris la course à son compte dans l'étape menant pour la première fois au promontoire. Mais après avoir écarté la concurrence en montant au col de Porte, le Breton manquait une trajectoire dans la descente sur Grenoble, salissant son Maillot Jaune de terre et de sang après avoir valdingué dans la forêt. Amoché mais pas abattu, celui qu'on n'appelait pas encore le Blaireau remontait sur son vélo, filant vers sa prise de la Bastille sans rien perdre de son avantage sur Thévenet et Van Impe. La légende était en marche.

Christian Prudhomme.