interview de Laurent Jalabert

Handicapzéro : Vous avez terminé votre carrière en 2002, pouvez-vous aujourd'hui nous parler de votre rôle dans le cyclisme ?

Laurent Jalabert : Aujourd'hui je collabore avec 3 médias. Je fais des commentaires en direct pour France Télévision, je suis sur une moto, au cœur de la course et j'essaie de déceler tous les détails qui peuvent rendre les commentaires plus enrichissants, donner des explications aux téléspectateurs.

Je suis également sur R.T.L., où une émission d'une heure m'est consacrée, dans laquelle je dois apporter des réponses aux auditeurs.

Enfin tous les soirs, je réalise une chronique pour le journal l'Equipe dans laquelle je fais part de mon regard sur les étapes qui se déroulent.

Handicapzéro : Vous avez couru pour la ONCE qui est l'organisation nationale des non-voyants espagnols, avez-vous eu l'occasion de pratiquer ce sport avec des personnes aveugles ?

Laurent Jalabert : Non, je n'ai pas couru avec des non-voyants, par contre j'en ai côtoyés bien sûr beaucoup dont certains pratiquaient le tandem sur route et sur piste.

J'ai surtout été très sensibilisé au problème des déficients visuels. L'équipe espagnole était sponsorisée par la ONCE, association qui met tout en œuvre pour les rendre complètement autonomes. J'ai donc eu l'occasion de visiter des centres de formation, des écoles. J’ai ouvert les yeux sur ce handicap, et je pense qu'il est important de le faire, car on se rend compte que c'est loin d'être évident.

Handicapzéro : Vous avez participé à 11 Tours de France, pouvez-vous nous raconter la manière dont on se prépare pour la grande boucle ?

Laurent Jalabert : Une saison cycliste dure environ 10 mois. Le Tour de France est le point central de la saison. Alors évidemment, c'est là que tous les médias se focalisent, les spectateurs aussi, ils sont nombreux le long des routes. Nous avons donc envie de réussir ce grand chalenge.

Il y a une préparation minutieuse qui est menée de nombreuses semaines auparavant. Cela se prépare de différentes façons, soit en enchaînant plusieurs courses jusqu'au départ du Tour, ou en opérant par moment dans la saison des périodes de coupure. Les coureurs s’arrêtent de faire de la compétition pour effectuer des charges de travail spécifiques en vue de préparer le Tour. Aller reconnaître les étapes clés du Tour de France, c'est un travail qui est important, surtout lorsque l'on a des ambitions personnelles ou générales.

Le Tour se déroule sur 3 semaines, il faut être bien du début à la fin et si possible de mieux en mieux, puisque la victoire se décide dans les 10 derniers jours. Le Tour est une épreuve qui se prépare de longs mois à l'avance. On s'y prépare aussi bien physiquement que psychologiquement parce qu'il y a bien sûr des épreuves difficiles parfois à traverser.

Handicapzéro : Y a-t-il une préparation diététique ?

Laurent Jalabert : La diététique fait partie du quotidien de ce sport. Le cyclisme demande beaucoup d'énergie et par conséquent il faut apporter à l'organisme toutes les calories dont il aura besoin pour pouvoir lutter contre l'effort.

Mais il y a aussi un ennemi qui est le poids. Le cycliste fait attention à son alimentation. Il évite de manger les graisses, tout ce qui peut lui être préjudiciable lors de l'effort.

Je résume souvent en disant que nous mangeons utile, faute de manger par goût nous mangeons par nécessité. Il y a toujours des aliments que nous préférons à d'autres. Certains préfèrent le riz aux pattes par exemple ou l'inverse, mais dans tous les cas les sucres lents sont la base de l'alimentation des coureurs cyclistes.

Handicapzéro : Sur tous ces Tours, vous avez gagné le maillot vert, le maillot de la combativité, le maillot à pois et porté le maillot jaune. Y a-t-il un maillot qui a plus de valeur à vos yeux ?

Laurent Jalabert : Le maillot jaune est bien sûr le plus convoité, celui-ci a énormément de valeur. Le revêtir un jour est déjà une grosse satisfaction pour un coureur. J'ai eu cette chance de le porter pendant 4 jours, malheureusement je n'ai pas pu le ramener jusqu’à Paris, c'était beaucoup trop difficile pour moi. Même si le jaune est plus important que les autres, il est tout de même préférable de ramener un maillot à Paris, même si ce n'est que le vert ou le maillot à pois. Monter sur le podium des Champs Elysées est toujours un moment assez exceptionnel. J'ai pu le faire à plusieurs reprises et j'en garde un excellent souvenir.

Handicapzéro : Vous parlez justement de souvenirs, quel est votre meilleur sur le Tour de France ?

Laurent Jalabert : Sans hésitation je dirai le 14 juillet 1995 à Mende où au terme d'une longue échappée de plus de 200 Km, j'ai remporté la victoire d'étape. Je me suis rapproché au classement général puisque je suis remonté à la 3ème place. C'était vraiment une très belle journée, nous traversions entre Saint-Etienne et Mende des paysages fabuleux, le public était très enthousiaste, c'était le jour de la fête nationale et pour moi c'était un véritable feu d'artifice. J'en garde un souvenir inoubliable.

Handicapzéro : Et le plus mauvais ?

Laurent Jalabert : Là aussi sans hésitation c’est le 3 juillet 1994 à Armentières. A peine à 50 mètres de l'arrivée, j'ai percuté une barrière, j'ai été gravement blessé au visage et eu plusieurs fractures. J'ai dû quitter le Tour le 1er jour.

C'est une image qui est restée un peu dans les esprits et dans le mien d'ailleurs puisqu'elle a contribué à conditionner la suite de ma carrière. Par peur de revivre des moments aussi terribles, je me suis détaché des sprints. Je suis devenu un coureur plus complet, plus combatif et je me suis trouvé des nouvelles ambitions que j'ai exploitées par crainte de me mêler à nouveau à la lutte des sprints massifs.

Handicapzéro : Vous avez couru dans une équipe française, danoise et espagnole, les techniques de préparation sont-elles les mêmes ou sont-elles différentes ?

Laurent Jalabert : Je crois qu’il y a plusieurs méthodes de préparation pour un Tour, elles ne sont pas toutes bonnes. Je l'ai appris un peu à mes dépends, j'étais un coureur ambitieux qui voulait tout gagner. Il est très difficile d'être performant sur les 10 mois de la saison. Et le Tour est tellement exigent qu'il faut énormément de fraîcheur, et ça je l'ai compris un peu sur le tard.

Ceci dit je ne regrette rien, il est vrai qu'à des périodes de ma carrière j'ai abordé le Tour de façons différentes.

En France chez Toshiba, j'étais un jeune coureur qui découvrait le Tour, je n'avais pas vraiment de préparation spécifique. Je vivais le Tour au jour le jour en profitant de chaque instant.

Par la suite à la ONCE, j'ai connu des Tours excellents et mauvais, chacun avec des préparations qui étaient sensiblement les mêmes.

J’ai terminé ma carrière dans l'équipe danoise C.S.C., j'ai vraiment tout axé sur le Tour de France où je savais qu'il fallait une grande fraîcheur, étant moi-même déjà un peu sur le déclin, j'ai vraiment concentré tous mes efforts sur le mois de juillet.

J'ai connu tout de même une belle réussite. J'ai exploité mon potentiel jusqu'au bout dans de bonnes conditions.

Handicapzéro : En tant que coureur complet, préfériez vous les courses par étape ou les grandes classiques ?

Laurent Jalabert : J'aimais bien les courses à étape d'environ une semaine.

En Espagne j'ai remporté pratiquement toutes les épreuves par étape auxquelles j'ai participé, y compris le Tour d'Espagne qui durait 3 semaines. Mais il est vrai que la plus grande réussite je la vis souvent sur des courses d'une durée moyenne de 7 – 8 jours.

J'ai remporté 3 Paris-Nice par exemple, il est vrai que c'est une distance qui m'allait bien. Je savais bien gérer ce type d'effort. Les 3 semaines d'un grand tour sont quelques fois difficiles à gérer, surtout la dernière semaine où nous sommes vraiment sur les qualités de récupération. Mais il est vrai que le stress de devoir réussir sur une course d'un jour est à son comble, nous n'avons pas tellement le droit à l'erreur, c'est la course parfaite et c'est à ce prix que l'on obtient un grand succès.

Handicapzéro : Justement vous avez participé à de nombreuses courses, y a-t-il une victoire dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ?

Laurent Jalabert : Ce qui m'a apporté le plus de satisfaction est de remporter des victoires assez différentes en fait. Des courses d'un jour comme Milan-San Remo faisaient partie des épreuves qui me passionnaient, et de l'a remporter un jour alors que j'en avais longtemps rêvé a vraiment été une consécration pour moi. De même, remporter un grand tour, même si ce n'est que le Tour d'Espagne, est aussi une satisfaction parce que cela m'a toujours semblé tellement difficile à réaliser.

Handicapzéro : Vous parlez du Tour de France qui va débuter dans quelques semaines, que pensez-vous du parcours ?

Laurent Jalabert : Je crois que comme tous les Tours le parcours est toujours exigent. Je le dessinerais en 3 parties.

Une 1ère partie plus propice aux sprinteurs, surtout cette année où il n'y a pas de contre-la-montre par équipe. Il va y avoir une bataille acharnée pour les bonifications des sprinteurs qui seront prudents, deux raisons essentielles : le maillot vert et aussi le port du maillot jaune. Je pense que leurs équipes vont respectivement contrôler la course jusqu'au 1er grand contre-la-montre.

Ensuite la 2ème phase avec les Pyrénées. Là, nous allons commencer à voir, entre le grand contre-la-montre de Rennes et les Pyrénées, un premier écrémage et surtout avoir quelques indications sur quelques grands coureurs que l'on attendait mais qui risquent de flancher. C'est souvent le cas dans le premier massif montagneux.

La dernière phase devrait se décider dans les Alpes. Les 3 journées alpestres semblent très difficiles entre l'Alpes d'Huez, la Toussuire et Morzine, il va falloir avoir les reins solides, c'est là que le Tour va vraiment se jouer pour les meilleurs.

Handicapzéro : Justement d'après vous, quels seront les principaux favoris et outsiders du Tour cette année ? Pensez-vous que quelqu'un comme Basso par exemple qui fait le Giro et le Tour a raison ?

Laurent Jalabert : C'est un peu trop tôt pour le dire. Pour l'instant il a raison puisqu'il a remporté le Tour d'Italie. Ceci dit, ce sont tout de même beaucoup d'efforts qu'il a dû accomplir à moins d'un mois du Tour. L'inconnue est de savoir si cela ne va pas lui être préjudiciable, non seulement à lui mais aussi à son équipe. Et lorsque l'on connaît la difficulté du Tour de France, il ne faudrait pas que ses équipiers abordent le Tour un peu émoussés. Il y a donc cette inconnue autour de Basso mais ce qui est clair c'est qu'il a un talent certain et qu'il a les capacités de remporter le plus grand Tour.

Et au chapitre des favoris du Tour, il y en a une petite poignée en fait qui a vraiment les qualités requises pour le remporter : Basso, Ulrich, Vinokourov.

Handicapzéro : Un pronostic pour le podium du Tour de France ?

Laurent Jalabert : Basso, Ulrich, Vinokourov.

Handicapzéro : Vous êtes le parrain de l'association "A-Bras". Pouvez-vous nous parler un peu de cette association et de votre engagement associatif ?

Laurent Jalabert : C'est une association que j'ai parrainée parce que je connais dans mon entourage une personne qui est atteinte par ce handicap. A-bras milite pour la paralysie du bras provoquée par un étirement du plexus brachial, c'est suite à un accident à la naissance ou un accident de la route. Ce sont des nerfs au niveau du bras qui sont sectionnés dans la moelle épinière en fait, avec des lésions plus ou moins prononcées.

Je connais très bien ce problème pour le côtoyer souvent et voilà pour quelles raisons je soutiens cette association. C'est surtout parce que la prise en charge doit être faite dans les premiers mois de la vie de l'enfant et que les personnes concernées n'ont pas eu connaissance de cette information. Il est dommage de passer à côté d'une possible opération par manque d’information. D'où l'intérêt de faire connaître d'avantage cette association.