l'édito de Christian Prudhomme

Faire bouger les lignes.

L'amoureux de vélo s'amuse et se nourrit de pronostics et de spéculations. Chacun de nous succombe par moments au syndrome du prophète amateur. Avec des analyses plus ou moins pertinentes, des arguments supposés infaillibles, des données factuelles et des statistiques que l'on voudrait incontestables, nous tablons sur des scénarios qui mêlent le rationnel et le fantaisiste, les paris farfelus ainsi que les espérances patriotiques. Tout au long des mois qui ont précédé le Tour 2014, parmi les centaines de conversations que j'ai surprises ou entretenues sur le sujet, aucune prévision n'aurait pourtant cerné le podium final, composé de Vincenzo Nibali, de Jean-Christophe Péraud et de Thibaut Pinot. Et je m'en réjouis ! Le Tour reste le royaume de tous les possibles, la vie du peloton ne se plie pas aux certitudes…

C'est avec le même désir de varier les difficultés, d'éparpiller les opportunités et de multiplier les options stratégiques qu'à été dessiné le parcours du Tour de France 2015. Pour expérimenter une nouvelle forme d'équilibre, nous avons aussi remis en question le concept du "grand rendez-vous", car le Tour en fixe potentiellement tous les jours à ses champions ! Sur plus de 3 000 km de route, 13,8 seulement seront consacrés au contre-la-montre individuel programmé dès le 1er jour dans les rues d'Utrecht. Et il semble probable que pour ce 6ème Grand Départ donné des Pays-Bas, les débats s'emballent rapidement, sur des terrains on ne peut plus ouverts. Après le chrono inaugural, il restera 10 jours de plaine et 10 jours de montagne. Mais dans ce canevas, nous avons surtout fait bouger les lignes : avec le vent qui souffle sur le Delta de Zélande ou les falaises de Seine-Maritime, avec la raideur de la pente qui maltraite les jambes dans le Mur de Huy, les secteurs pavés qui précèdent l'arrivée à Cambrai, le test toujours instructif de Mûr de Bretagne ou le chrono collectif atypique de Plumelec, le 1er volet de la course ne s'offrira pas qu'aux sprinteurs.

La séquence suivante permettra quant à elle aux grimpeurs portés vers l'attaque de faire la différence. Qu'il s'agisse de renverser la tendance ou de consolider sa position, les étapes de montagne ont pour la plupart été tracées sur des formats dynamiques qui récompensent l'initiative. L'arrivée inédite à La Pierre-Saint-Martin ou la sélective montée au Plateau de Beille encadreront la visite des Pyrénées. La traversée ouest-est en direction des Alpes peut également bousculer la hiérarchie lors de l'exigeante arrivée à l'aérodrome de Mende. Et les perspectives de rebondissements se devinent aussi dans le final alpin réparti sur 4 épisodes consécutifs de haute intensité : à Pra-Loup, à Saint-Jean-de-Maurienne, à la Toussuire ou enfin à l'Alpe-d'Huez escaladée pour la 1ère fois à la veille de l'arrivée finale, les coups d'éclat, les revanches, les défaillances et les hold-up sont possibles. Voilà de quoi deviser sans fin sur le prochain podium des Champs-Élysées.

Christian Prudhomme.
Directeur du Tour de France.