interview de Didier Deschamps

Didier, on dit toujours que la Coupe du Monde est un événement pas comme les autres pour un footballeur, en quoi est-il si différent ?

C’est un évènement planétaire, il n’y a pas de plus belle compétition. Tout le monde a les yeux fixés sur cette compétition. Evidemment le football est le sport le plus médiatique, le plus populaire où il y a certainement le plus de licenciés. Lorsque les meilleures équipes se retrouvent pour ce tournoi final, pour un joueur professionnel, il n’y a pas de plus belle compétition.

Cela veut-il dire que durant toute la saison, on pense justement à l’équipe de France et à ces grandes échéances qu’il y a au bout ?

L’équipe nationale est toujours un fil conducteur dans une carrière, cela a été le cas pour moi. Lorsque l’on joue dans de grands clubs, on fait de grandes compétitions comme la Champion‘s Ligue. Mais avec l’équipe de France, chaque R.D.V. est un R.D.V. particulier. Parce qu’on représente le pays, qu’il y a de l’ambition, l’envie de se qualifier pour le championnat d’Europe et la Coupe du Monde. Et puis c’est le rêve de tout professionnel de gagner la Coupe du Monde.

Et pour vous, 1998 restera comme le meilleur souvenir de votre carrière de joueur ?

Oui, ce jour-là on est tous monté sur le toit du monde, parce qu’on ne peut pas gagner quelque chose de plus beau. Le fait aussi que cette Coupe du monde ait été organisée en France, avec cette ferveur populaire, c’était vraiment quelque chose d’inoubliable. Cela restera toujours la première et même si cela fait déjà huit ans, j’ai toujours l’impression que c’était hier.

Que ressent-on à ce moment-là ? A quoi avez-vous pensé lorsque vous avez reçu le trophée ?

Déjà, c’est un sentiment un peu égoïste d’être privilégié parce que j’étais le premier en tant que capitaine. Il y a plein d’images qui défilent mais on ne se rend pas trop compte quand on est acteur de l’importance de l’événement. Avec le recul des mois ou des années, on se rend compte de l’exploit que l’on a réalisé.

Il y avait beaucoup d’engouement en 1998, l’avez-vous vous-même ressenti alors que l’équipe de France vivait quand même dans un cocon ?

Heureusement, on était dans notre bulle et on ne se rendait pas totalement compte de tout se que l’on déclenchait au fil de la compétition. Disons que, entre la demi-finale au Stade de France face à la Croatie et les jours qui ont précédé la finale, là on s’est vraiment rendu compte.

Dans quel état d’esprit allez-vous suivre le Mondial 2006 en Allemagne ?

En tant que supporter, à fond derrière l’équipe de France en espérant la voir la plus performante, qu’elle aille le plus loin possible. Je la suivrais aussi en assurant commentaires et l’analyse à la radio et à la télévision.

Il y aura donc le spectateur, le supporter de l’équipe de France mais il y aura aussi l’œil de l’entraîneur ?

Oui, parce que l’équipe de France, je vais la supporter mais aussi regarder le comportement individuel des joueurs, de l’adversaire aussi.
Maintenant, comme je suis entraîneur, j’y vais forcément avec un peu plus de recul. Je ne m’arrête pas simplement aux actions, j’essaie de regarder un peu tout ce qui se passe en dehors du ballon et qui peut me servir.

La compétition, comme chacun sait, se déroule en Allemagne, peut-on dire que c’est un avantage pour les équipes européennes ?

C’était un très gros désavantage d’avoir jouer la dernière coupe du Monde en Asie où l’adaptation et l’acclimatation étaient très problématiques pour les équipes européennes. En Allemagne, le fait que les supporters peuvent faire l’aller-retour dans la journée, implique forcément qu’il y aura plus de personnes qui vont se déplacer. En plus les horaires seront les mêmes en France et en Europe, les températures seront à peu près équivalentes, donc il y a un gros avantage pour les équipes européennes.

Quoi qu’il en soit, peut-on dire que l’Allemagne reste aussi une terre de football, même si ce n’est pas le champion le plus spectaculaire ?

Le championnat allemand est moins mis en valeur que les championnats d’Angleterre, d’Espagne ou d’Italie, mais c’est un très bon championnat. C’est peut-être la froideur qui fait que ça n’intéresse pas trop les médias, mais il y a vraiment beaucoup de bons joueurs, de bons matches et beaucoup de buts. C’est un football spectaculaire.

Et naturellement, on attend l’Allemagne, puisque c’est elle qui organise la compétition, comme on avait attendu l’équipe de France en 1998.

Le fait d’être le pays organisateur est un gros avantage. L’Allemagne a des chances de faire un bon parcours, mais c’est une équipe relativement jeune, qui a eu des matches amicaux un peu délicats et qui va rencontrer des équipes nationales qui lui seront supérieures.

Mais ça peut être aussi un inconvénient avec cette pression lorsque l’on joue devant son public.


La Mannschaft à été critiquée ainsi que son sélectionneur Klinsmann. On remettait en cause ses choix. S’ils démarrent bien la compétition dès le match d’ouverture et si tout le peuple allemand est derrière son équipe, elle peut aller loin.
Les joueurs le savent, le sélectionneur le sait aussi. C’est donc une pression très forte sur cette équipe d’Allemagne.

En 2002, on se souvient qu’il y avait la Corée du Sud, il y avait également la Turquie qui avait créé la surprise en accédant aux demi-finales. Est-ce que vous pensez que, cette année, des équipes peuvent aussi créer la surprise ?

Il y a toujours des surprises, à part le Brésil qui est hyper favori. Il faudra aussi compter sur les équipes européennes avec les Pays-Bas, la France, l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre. La surprise peut venir de l’Ukraine ou d’une équipe africaine. Un jour viendra où une équipe africaine arrivera au bout. Il y a tellement de grands talents africains qui jouent dans les grands clubs.

D’autant plus que l’Afrique va organiser le prochain mondial en 2010.

Pour les infrastructures, ça ne va pas être évident parce qu’il faut de gros moyens. En Allemagne il n’y aura pas ce souci. L’Afrique devra faire beaucoup d’efforts pour une bonne organisation. Mais le football africain se développe de plus en plus et il serait souhaitable qu’il y ait une grande équipe africaine.

Quels sont les favoris pour vous ?

Le grand favori c’est le Brésil, de part son histoire. Et puis parce qu’ils ont les meilleurs joueurs, avec à tous les postes, un remplaçant qui est aussi fort que le titulaire. Maintenant, il y a les outsiders européens comme l’Angleterre, l’Italie que je sens bien aussi malgré les soucis judiciaires qu’ils ont actuellement avec leurs clubs. La France est là avec son potentiel, les Pays-Bas et également l’Allemagne. L’Argentine devrait aussi être là.

Pensez-vous que pour cette équipe de France, Raymond Domenech ait choisi les meilleurs joueurs du moment ?

Il a choisi, pour lui, ses meilleurs joueurs. Ce ne se sont pas forcément mes meilleurs joueurs ou les meilleurs joueurs de tout le monde. Maintenant on peut analyser, même critiquer ses choix, ce sont ses choix. C’est lui le sélectionneur, à lui de trouver la bonne formule.

Les forces de l’équipe de France ?

L’expérience, à travers des joueurs qui ont déjà connu de grandes compétitions, qui les ont déjà gagnées et qui évoluent dans de grands clubs. Le talent individuel des joueurs qui peuvent faire la différence à tout moment. Après il faudra réussir à créer une unité autour d’un objectif commun. Que tous soient vraiment à fond derrière son partenaire pour dégager une force collective. Ca n’a pas toujours été le cas, notamment en 2002. Ajouter à ça, une fraîcheur physique importante surtout chez les meilleurs joueurs. Je pense que l’équipe de France devrait jouer une très belle Coupe du Monde.

On a l’impression aussi qu’il ne suffit pas de très bien jouer au football pour gagner mais qu’il faut autre chose. Un bon groupe, un état d’esprit, une mentalité, etc...

Avoir beaucoup de talents ne suffit pas. Dans toutes les équipes nationales il y a beaucoup de talents. Il y faut en plus un esprit de travail et de compétition. Ce n’est pas évident de faire vivre un groupe. Il faut un peu de réussite et provoquer la chance. Qu’il n’y ait pas de blessure, pas de suspension et de la fraîcheur physique.
On peut prendre l’exemple du dernier championnat d’Europe avec la victoire de la Grèce. C’est parce qu’ils avaient cette fraîcheur physique et mentale qu’ils sont allés au bout.

Selon vous, quelles sont les faiblesses de l’équipe de France ?

C’est difficile de parler des faiblesses. Il faut que le talent individuel soit mis au service du collectif. C’est une réponse banale, mais ça n’a pas été le cas ces derniers temps ou sur les dernières compétitions. Les matches de qualification ont été très difficiles. Il faut bien débuter cette compétition. Depuis 1998 on attend toujours que l’équipe de France soit performante.

Quels sont les joueurs qui ont beaucoup à prouver dans cette Coupe du Monde, quels sont les joueurs qui peuvent marquer les esprits ?
Parce qu’à chaque compétition, il y en a au moins un...

C’est difficile à dire. Il y aura certainement la confirmation des grands talents, ceux qui sont très forts dans leur club et en Ligue des Champions. Après, il y des joueurs qui ne sont pas très connus sur la scène médiatique internationale et qui vont éclater. Il y en a toujours un, deux ou trois qui sont des révélations d’une Coupe du Monde. Mais ce sont souvent des révélations qui n’ont pas de lendemain. Mais je pense que c’est surtout la confirmation des grands joueurs parce qu’ils font toujours la différence dans les grands matches.

Merci Didier.